Entre deux mondes: Dix ans à Londres

lundi 30 décembre 2024
5 minutes de lecture

En 2015, j'ai rédigé un article au sujet de mon expérience après ma première année à Londres. J'étais fasciné par la nouveauté, la richesse de mes nouvelles rencontres. C'était un voyage d'un an. Depuis, dix ans ce sont écoulés. Dix ans de découvertes, de rencontres, de cheveux gris, de questions, de pintes, de joies et de défis, entre éclats de rire et pincements au coeur.

Un aperçu.

Jean-Philippe Monette dans un rooftop bar à Peckham

L'Europe à portée de main

Vivre à Londres, c'est avoir une porte sur un continent entier. En quelques heures et pour une poignée de livres sterling, j'ai déambulé dans les rues pavées de Tallinn, senti le froids piquant des alpes en ski, exploré des vestiges abandonnés de l'union soviétique, croisé le chemin de l'OTAN déployé dans les pays baltes, pêché au harpon en Afrique ou même traversé le détroit de Gibraltar en voilier. Il y a toujours quelque chose de nouveau à faire, chaque voyage m'ayant offert une nouvelle histoire à raconter.

Jean-Philippe Monette au Pays de Galles

Les liens qui se créent... ou qui ce dénouent

Londres est un carrefour de rencontres. J'ai eu la chance d'y croiser des centaines de visages, nouer des liens avec qui j'ai partagé des moments inoubliables. Quand tu pars de zéro, tout devient une opportunité de connecter. Le travail, les bars, le voyage, un karaoké, en train, en avion, Instagram, couchsurfing et j'en passe. Certains liens sont à l'épreuve du temps, d'autres vieillissent un peu moins bien. Parce que les gens changent d'emploi, retournent dans leur pays d'origine, perdent leur visa, passent à autre chose.

Jean-Philippe Monette à Buzludja, en Bulgarie

Une identité hybride

Avec le temps, des choses semblant naturelles entre québécois se sont tranquillement effacées, remplacées par des habitudes et références anglaises. Ce qui était auparavant étrange est devenu familié, et l’inverse est vrai aussi. La poutine déracinée, remplacée par le fish & chips, le métro par le « tube », l'hiver enneigé par les temps gris, la piastre par le « quid », la cabane à sucre par le pub, l'appartement par le « flat », la langue de Molière par celle de Shakespeare. Je navigue désormais entre deux cultures, sans appartenir entièrement à l’une ou à l’autre. Malgré tout, à chaque fois que j’entends l’accent québécois, que je tombe sur une chanson de chez nous, que je suis fier de voir le produit du Québec à l'étranger: je me souviens. Les paroles de Céline, le folk des Cowboys, la poutine, une casquette Ciele, une usine de Bombardier.

Jean-Philippe Monette célébrant la Fête Nationale du Québec à Peckham

Les histoires

Croiser le chemin d'autant de personnes, c'est s'ouvrir à des récits qui marquent, parfois pour un instant, ou pour toujours. La joie de décrocher sa résidence permanente, la fierté d'un changement de carrière, l'euphorie de trouver l'amour de sa vie, l'angoisse de devoir aller au front, la magie d'un paysage époustouflant, d'être incapable de rejoindre sa famille à cause d'un visa, la fierté de surfer sa première vague, l'inquiétude pour des amis à proximité d'un attentat, le rire nerveux après quatre crevaisons, célébrer jusqu'aux petites heures du matin, partager une chambre avec un ronfleur dans une auberge, la pluie et la beau temps.

Jean-Philippe Monette en Écosse, dans les Highlands

Suis-je chez moi?

Malgré le temps, l'intégration ainsi que la naturalisation, je me pose encore la question: ai-je trouvé ma place ici? Londres, avec son énergie cosmopolite, semble toujours accueillir les expatriés à bras ouverts, mais le doute persiste. Où l'on peut être tout et rien à la fois, est-ce que mon futur s'y trouve, où ai-je simplement appris à m'y adapter? Est-ce la fin de l'exil?

Jean-Philippe Monette avec un âne au Cap-Vert

L'éloignement

C'est sans doute le poids le plus dur à porter. Les premières années, l'excitation masquait la distance de ma mère patrie. Mais au fil du temps, l'absence s'est faite sentir. Les moments manqués, les familles qui s'élargissent, des amis perdus de vue, les enfants qui grandissent et surtout, voir mes proches vieillir sans pouvoir présent. Un poids, parfois une culpabilité. Heureusement, je suis chanceux d'être accueilli chaleureusement à mes retours, mais est-ce que cet exil en vaut vraiment la chandelle? Est-ce que ça suffit de rassembler mes souvenirs? Sinon, le Québec change: les lieux familiers se transforment, les ponts sont remplacés, le transport se développe, la neige se fait plus rare.

Jean-Philippe Monette à Dreamforce à San Francisco

Le visa

Pendant 8 ans, ma vie tenait à un fil: celui d'un visa lié à mon emploi. Ce statut m'a souvent semblé fragile, précaire. Que faire si je perdais mon travail? Ou si je souhaitais changer? Devrais-je retouner à Montréal du jour au lendemain? Qu'en serait-il de mon cercle, de mes amis, de ma routine? Et si j'avais besoin d'un "break"? Une posture qui m'a toujours empêché de m'engager à 100%. Depuis, citoyen, j'ai acquis plusieurs droits, dont celui, précieux, de la paix d'esprit. Cependant, bien que cette précarité liée au visa appartienne au passé, elle a laissé ses traces.

Jean-Philippe Monette à sa cérémonie de citoyenneté UK

Dix ans à Londres, c'est un mélange doux-amer de bonheur et de nostalgie. Naviguer entre deux mondes. Hésiter entre aller à 100 milles à l'heure ou abandonner. Entre deux « flats ». Se demander si on est à la bonne place. C'est avoir un pied ici, et un autre là-bas, apprendre à apprécier les deux tout en sachant qu'il faut accepter qu'on est jamais complètement d'un côté ou de l'autre.

Jean-Philippe Monette dans un voilier au large du Gibraltar

Mais peut-être que c'est ça, être expatrié: ne jamais être ancré, avec l’écho constant d’une part de soi restée ailleurs. ∎